L’origine du monde
L’air tiède du matin gonfla un pan du voilage, en mousseline
blanche, représentant de minuscules fleurs autour desquelles une lumière vive
filtrait. Fanny regardait le mur à l’ombre, en ramassant ses jambes, en deçà du
rayon de soleil, comme pour profiter de la fraicheur, avant que la journée ne s’installe véritablement. Un brusque mouvement
du voile laissa apercevoir un ciel Toscan, d’un bleu éclatant.
Elle savait que dans la pièce d’à côté - celle qu’avait
prêtée Jim son petit dernier – dormait Phil, l’ami du couple qu’elle formait
avec Alban. Jim, qui venait de perdre ses deux dents de devant, avait souri le
soir d’avant – d’un sourire où les gencives étaient nues – la pulpe rose
donnant, par contraste avec ses cheveux blonds, toute la touchante naïveté de
son âge – et dit :
« Phil va dormir avec Toudou… ».
Sa mère avait réagi à ce propos, en caressant le garçon et
en lui ramenant derrière l’oreille, une mèche dorée bien trop longue, dégageant
une odeur d’avoine. Son mari dormait encore, sa poitrine se soulevant à un
rythme régulier, l’air sortant calmement de son nez au moment où son ventre
plat et musclé se gonflait. Elle souffla sur le front de son compagnon d’où
perlaient, en plein jour, trois gouttes de sueur. Les yeux bleus d’Alban
s’ouvraient, profitant de la clarté, le rayon ne l’irradiant qu’au-dessus des
sourcils.
Victor, à peine plus grand que Jim, se pointa, une mèche
rebelle sur la tête, dans l’entrebâillure de la porte. Il regardait ses
parents, un pied nu sur l’autre, en suçant son pouce. Alban, le père, lui
dit :
« Eh, mon grand, tu sais que Jim ne suce plus son
pouce, lui ! »
Le garçon, sortant de sa torpeur, poussa un cri strident et
se jeta sur son père, en mimant le vol caractéristique de Superman. Il retomba
lourdement sur le ventre d’Alban, faisant basculer sa mère plus loin au bord du
lit.
Des rires éclatèrent, faisant fuir deux mésanges, installées
sur le rebord de la fenêtre. Puis la bagarre reprit, suivie de chatouilles sous
les pieds du garçonnet qui riait jusqu’à en souffrir.
On entendit : « Je veux Toudou … je veux
Toudou ! ».
Au ton agacé de Jim, la mère se leva pour aller voir son
fils, installé dans la chambre la plus lointaine de celle des parents.
Les parents avaient hésité à installer Phil, leur ami commun,
si près d’eux, sachant que tous leurs bruits intimes et leurs conversations
seraient entendus. Puis, au fil des deux mois qui avaient passé, ils ne s’en
étaient plus soucié, oubliant totalement sa présence. En fait, Phil partageait
leur vie maintenant ; il arrivait bien souvent le soir, que les trois amis
discutent librement, les sons de leurs voix à peine retenus par les cloisons.
Phil commençait à s’endormir, lorsque les paroles faisaient
place au chuchotement des parents. Il dormait comme un enfant, bercé par les
chuchotis et ce sentiment, si ténu, d’être un privilégié du couple.
Fanny, arrivée dans la chambre de Jim, trouva son garçon les
bras croisés et la mine boudeuse.
Elle le regarda en l’imitant, ce qui creusait une fossette
charmante à son menton, et le fils, voyant le regard noir de sa mère –
faussement fâché – ne put s’empêcher de pouffer :
« Mamoun… » lança t-il, enjôleur, en ouvrant ses
bras. Sa mère sentait le lait et la tiédeur du sommeil à peine achevé.
En tapotant les deux gros oreillers blancs de la chambre,
réservée normalement aux amis, elle retira d’un coup aussi, la couette
également blanche, et dit à Jim :
« Allez hop, debout ! ».
L’air printanier s’engouffra dans la pièce, évacuant les
senteurs de la nuit, et parfumant l’espace, du parfum énivrant des mimosas.
Alors que les garçons étaient tous attablés, Phil se tenant
entre Jim et Victor, la bouilloire sifflait le début du petit déjeuner.
C’est alors qu’arriva Fanny, simplement vêtue d’une robe
blanche, en lin, d’où les trois premiers boutons du col étaient libres. Elle
ramassait ses cheveux châtains sur son crâne en les tirant et les tordant par
l’arrière, pour les essorer tout à fait.
Des gouttes d’eau dégringolaient de la tête de la mère,
empruntant, sur le front, le chemin de quelques légères rides, pour s’éloigner
du visage, jusqu’à reprendre le contours de la chevelure, ramassée derrière les
oreilles. Il y avait dans l’allure de la femme, un naturel inné, une présence
physique allant de soi, quelque chose d’une féminité assumée, presque mâle.
C’est ainsi qu’elle avait pu, avec fermeté et douceur,
gagner elle aussi, l’amitié de Phil, le meilleur ami d’Alban.
Il formait un trio maintenant, dont chacun des membres avait
noué une relation intime ; il arrivait que Phil se confie à Fanny, sur des
sujets qu’ignorait totalement Alban et ainsi de suite pour les trois individus.
Phil et Alban avaient leurs secrets, eux aussi, leur amitié datant de leur
prime jeunesse, lorsque Fanny était alors inconnue d’Alban. Mais toujours, au
cœur de cette amitié, présidaient la fidélité et l’honnêteté.
Alban déclara le début de la journée officiellement ouverte
en mettant sur la table les paniers, glacières, nappes, couvertures, couteaux
et fourchettes : éléments nécessaires au pique-nique prévu depuis le début
de la semaine.
Tout le monde participa aux tâches, les enfants s’occupant
de ce qu’ils pouvaient, et la famille fut prête en un rien de temps, chacun,
par habitude, connaissant son rôle à la perfection.
Il était midi lorsqu’ils arrivèrent au moulin à foulons.
L’herbe était verte et les arbres et arbustes présentaient
des feuilles et des fleurs, on croyait percevoir l’éclatement successif de tous
les bourgeons arrivés à maturité. L’eau fraîche et claire, à côté du moulin,
attira tout le monde et chacun se plaça, comme bon lui semblait, à des
promontoires improvisés. Le bruit de la rivière se mêlait au bienfait du
soleil, jusqu’à ce que tous ou presque, profitèrent totalement de l’instant. Le
temps se suspendait.
Seul Jim, qui jouait trop près du courant d’eau, imposait
aux adultes une attention intermittente, afin qu’il ne fût entrainé, lui qui ne
savait pas nager.
Vint le temps du repas. Les adultes burent du vin et la
sieste se profila naturellement.
Dans l’après-midi, les garçons tirèrent sur les jambes de
Phil, afin de le réveiller. Celui-ci ne dormant que d’un œil, fit semblant
d’être complètement assoupi, jusqu’à ce que, les prenant par surprise, il
poussa un cri effrayant de bête tout en les pourchassant l’un et l’autre. Les
enfants hurlèrent de peur et rirent en même temps, heureux d’avoir trouvé ce
compagnon de jeu qui faisait si bien semblant.
Les parents râlèrent un peu, en leur demandant d’aller jouer
plus loin, sur un champs en contrebas.
Les deux frères et Phil improvisèrent un match de Foot, en
se servant de leur tee-shirt pour figurer quatre poteaux. Phil jouant seul
contre eux.
Il y eut un pénalty et Phil, en plaçant avec attention le
ballon, se concentra en respirant calmement et en regardant à 360 degrés autour
de lui.
C’est à ce moment décisif qu’il fut déconcentré par la vue
des parties intimes de Fanny qui, sur le ventre, avait écarté ses jambes l’une
de l’autre, afin de profiter de l’air.
Cette vision crue, dans une nature sauvage, le décontenança
complètement.
Il rata son but et ne fit aucun cas des cris de joie des
enfants.
La journée finie, le soir, il ne put trouver le sommeil de
toute la nuit.
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