Qui ne voit
que tout, dans les sociétés et les mœurs occidentales, par-delà l’Atlantique et
ailleurs, cède et craque, sous le poids trop lourd des mémoires, des vies et
des habitudes, ne comprend pas le monde dans lequel on vit, dans lequel NOUS
SOMMES, aux premières années du deuxième millénaire.
La sexualité
et son fonctionnement d’abord, s’imposent toujours plus libres – peut-être en
apparence seulement, mais enfin… L’Histoire, souvent celle tragique, tend à
faire entendre des voix peut-être trop oubliées, imposer une relecture des
événements ( négligemment traités par les historiens ? ) comme la
colonisation, la traite des noirs, par exemple. La société enfin, pour nous
contenter de ces trois champs de réflexion, qui sont bien loin d’être
exhaustifs, la société qui appuie désormais l’égalité entre les sexes, abolit
les différences de genre ou plutôt invente des ponts entre ceux-ci et donne une
visibilité à de nouveaux individus – sans doute autrefois relégués dans la
marginalité. Iel(lle), le pronom de la troisième personne indéterminée, est
entré, faut-il le rappeler, cette année dans le dictionnaire.
La
démonstration rapide est claire. Des forces « progressistes » sont à
l’œuvre partout dans le monde libre et sans doute au-delà, et font
exploser/imploser les cadres de l’expérience humaine, laissant apparaître des
pans entiers de celle-ci méconnus.
Mais
l’Art ? De quelle révolution artistique récente pourrions-nous nous
réclamer ? L’art contemporain ? Tout juste une continuité,
l’étonnement encore, n’ayant guère surpassé l’effronterie géniale de l’urinoir
de Duchamp – déjà maintenant bien datée.
La
révolution Surréaliste ? Bien réelle celle-là, mais encore plus lointaine
dans les mémoires et les pratiques.
L’art, assez
curieusement, ne semble pas profiter de ce « progressisme » et reste
cantonné à son histoire cloisonnée.
Il y a eu
pourtant, au cours du XIXème, sous l’impulsion d’un génie, Van Gogh – bien que
celui-ci restât à son époque dans l’anonymat provoqué par l’incompréhension –
une étonnante avancée de la modernité. Celle-ci s’accompagnait en effet d’une
sainte Trinité : génie – incompréhension – folie.
Après
Vincent, clairement, et peu de temps après sa mort, plus rien dans l’art ne put
continuer sérieusement sans référence à ce génie. Après lui, comment ne pas
oser la couleur d’avantage, élargir les perspectives, augmenter la toile avec
de l’empâtement ? Après lui, effectivement, la peinture sans-doute
changea : mais ce n’était pas une « révolution de la peinture ni de
l’art » ; c’était l’empreinte d’un génie sur les productions futures.
Il fallut
attendre mai 1968, sa révolution, cette fois-ci factuelle, pour qu’avec les
progrès de la science et l’arrivée de certains médicaments, ainsi que la
réflexion de certains philosophes « engagés » sur la marginalité,
s’ouvrent, en même temps que les portes des asiles, de nouvelles perspectives
sur une partie de l’art délaissée.
On l’appela
successivement : « l’art des fous », « l’art brut »,
et plus récemment « Création Franche ». Ces trois appellations
désignèrent trois regards différents : l’art des fous n’était considéré
que pour son aspect clinique, l’évocation sur la toile des troubles mentaux et
la possibilité de peut-être les expliquer. L’art brut, défini par Jean
Dubuffet, considéra d’avantage le potentiel artistique, sans toutefois accorder
– par une sorte de snobisme sûrement – le statut d’artiste aux différents
créateurs.
Enfin,
dernièrement, est apparue cette notion de Création Franche qui elle – bizarrement
– n’est pas précisément définie. Nous sommes donc encore aujourd’hui, au
contact de toute cette production, dans une sorte de « flou
artistique ».
Il faut
revenir en arrière pour trancher la question. Quelle était la réaction du
célèbre psychiatre – le docteur Gachet – devant les toiles de Van Gogh ?
Il les admirait bien sûr ! Et plus, il les comprenait. Gachet
considérait-il Van Gogh comme un fou ? La réponse est édifiante si l’on se
remémore cette lettre du peintre à son frère Théo à propos du médecin :
« Je crois qu’il ne faut aucunement compter
sur le docteur Gachet. »
Cela
sous-entendait ce que Vincent pensait réellement, à savoir que Gachet était
aussi profondément mélancolique que lui l’était.
En fait, Van
Gogh était un artiste et donc il n’était pas fou. Puisqu’un artiste ne peut pas
être un fou. Et si un fou est un artiste, alors c’est tout bonnement qu’il
n’est pas fou.
Voici
comment définir la Création Franche ( ce que personne n’a osé ) : eh bien,
c’est de l’Art !
Les enfants,
les « fous », les malades, les handicapés sont des artistes en
puissance, comme tous ceux qui – se tenant à l’écart du monde des adultes, bien
fou lui par contre – osent rêver et surtout : aimer.
Car il n’y a,
comme le disait Van Gogh encore :
« Il n’y a rien de plus réellement artistique que
d’aimer les gens ».
Matthieu Guigo
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